Certains vieux Lotois continuent de dire « cabécou ». Probablement parce que, pour eux, il ne peut y en avoir qu’un : le rocamadour. On ne peut pas leur en vouloir. De tout temps, ils ont vu leurs grands-parents, leurs parents ou le fermier voisin fabriquer ce petit fromage de la même manière, avec le lait cru des chèvres nourries à l’herbe du causse. Que ce « cabécou » soit officiellement devenu le rocamadour, en 1996, n’a rien changé à la vie de ces amateurs ni au plaisir sans fin de savourer ce petit fromage de 6 centimètres et 35 grammes.
Pour le rocamadour et tous les professionnels impliqués dans la filière, en revanche, l’obtention de cette AOP (appellation d’origine protégée) a constitué une révolution. Le cahier des charges désormais attaché à l’appellation a arrêté la géographie, fixé les méthodes de production et préservé le goût. Ainsi armé, le rocamadour a pu partir à la conquête de la France. En moins de trente ans, il a gagné tous les palais, des plus délicats aux plus exigeants. Avec 37 millions de fromages fabriqués chaque année, le rocamadour est aujourd’hui, en volumes, la deuxième AOP au lait de chèvre en France.
Et voilà que les professionnels de la filière voudraient tout remettre en question. Tout ? non ! Pas la saveur ni la qualité. Mais une partie des méthodes de travail. On peut être profondément enraciné dans un terroir et une tradition tout en ne craignant pas de se remettre en question et d’aller explorer les incertitudes de la modernité et du progrès.
Le syndicat des producteurs de fromage de Rocamadour, en lien avec l’Irqualim (Institut régional de la qualité alimentaire), réfléchit depuis plusieurs mois à une évolution du cahier des charges du cher petit palet de velours. Sans dénaturer ni la nature, ni la qualité, ni le goût du fromage, il s’agit surtout de l’inscrire dans son époque en répondant à certaines attentes du public. « Ce sont aussi des valeurs que les acteurs de la filière portent depuis toujours », explique-t-on au syndicat des producteurs de rocamadour. Ainsi, la profession réfléchit-elle à ce qui serait utile à la filière, dans des domaines aussi variés que le bien-être animal dans les élevages, le dimensionnement et les fonctionnalités des bâtiments afin d’améliorer le confort et la santé des chèvres, la préservation de l’environnement et de la biodiversité, l’alimentation des animaux et la ressource en matières premières, la simplification du travail quotidien des éleveurs, l’attractivité de cette production et le recrutement, etc. La liste n’est pas exhaustive et pourrait s’enrichir encore au fur et à mesure que va s’établir le diagnostic de la filière. Il s’agit de trouver les bonnes solutions qui, tout en intégrant d’inévitables contraintes nouvelles, continueraient de préserver l’attractivité du métier et permettraient de générer de la valeur ajoutée.
Pour animer ce travail de réflexion, l’organisation professionnelle devrait d’ailleurs recruter une personne chargée de mission, qui devra établir les besoins et identifier les pistes de réforme. C’est là un chantier de longue haleine car il s’agit de ne pas dénaturer le rocamadour. D’une part il doit se conduire dans la concertation de tous les acteurs et, par ailleurs, les démarches auprès de l’INAO (Institut national des appellations d’origine) sont toujours très longues. Le syndicat s’est fixé pour objectif d’avoir rédigé un nouveau cahier des charges à l’horizon 2035.
La démarche démontre combien l’appellation rocamadour est vivante, agile, moderne. Cette remise en question, souhaitée par les professionnels eux-mêmes, est d’autant plus remarquable que la filière est solide, structurée et mature.
Le rocamadour, AOP depuis 1996, c’est aujourd’hui un peu moins de cinquante chèvreries, 33 fabricants (3 laiteries et 30 fermiers), une production annuelle de près de 1 300 tonnes (70% de fromages laitiers et 30% de fromages fermiers).
L’aire géographique de l’AOP couvre le département du Lot (hormis les petites régions de la Bouriane et du Ségala) mais également la lisière des départements de l’Aveyron, de la Corrèze, de la Dordogne et du Tarn-et-Garonne.
Photo © Syndicat des producteurs de fromage de Rocamadour F. Moneger