La Cranquette, c’est la mer à manger

Tout n’est peut-être pas perdu, dans les stations balnéaires du littoral roussillonnais et languedocien. Dans la triste multitude des pseudo-restaurants qui veulent nous faire avaler à tout prix des pizzas, des burgers, des galettes surtout pas bretonnes, des moules-frites et autres couleuvres indigestes, quelques vrais professionnels de la restauration et du goût font de la résistance. Ceux-là méritent une stèle.

Parmi eux : Julien et Mélanie Privat, les fiers tenanciers de la Cranquette, à Gruissan-Village (Aude). Comme la cranquette (le petit crabe vert de Méditerranée), tout ce qui est servi ici (ou presque…) vient de la mer qui clapote là, juste devant, à moins d’un mile marin. En témoignent les photos postées par la Cranquette sur les réseaux sociaux et sur lesquelles l’équipe du restaurant pose ici avec un thon rouge de Gruissan, là un turbot de 8 kilos, là un énorme loup… Et si ça ne vient pas de la mer, ça vient des maraichages alentour, des vergers voisins, des élevages de l’arrière-pays, des vignes tout proches… « Certains jours, la totalité des plats de notre carte est faite à partir de produits de Gruissan », garantit Mélanie, qui assure avec le même enthousiasme le service, la cave et le panégyrique de son chef de mari.

Ici, on parle zarzuela, soupe de crabes, bourride, anguilles légèrement fumées de Gruissan, plancha de poissons, couteaux grillés en persillade, riz cuisiné au homard… Et quand on choisit une salade césar, c’est de l’espadon que vient relever la sauce aux anchois. A La Cranquette, tout est fait dans la cuisine de la maison. Même le coulis de tomates qui colore la soupe de poissons. Dans ces cuisines-là, on écaille, on coupe, on filète, on émince. On manie le couteau, au risque de se couper un doigt ou d’entailler le bilan comptable. « Ça fait plus de vingt ans qu’on travaille comme ça ; nous savons pourquoi nous le faisons et on continuera longtemps ! » Croix de bois, croix de fer, si elle ment, Mélanie ira en enfer.

C’est un peu la même intransigeance qui anime la carte des vins de la Cranquette, où l’on trouve en majorité des vins locaux (Haut Roussillon, Corbières, Terrasses du Larzac, La Clape…) tous éthiques, souvent bio voire naturels.

A La Cranquette, rien n’est tiède, rien n’est fade. Et surtout pas l’ambiance bistrot dans la salle de l’ancien presbytère ou sur la terrasse couverte de treille et de glycine. On vient ici parce qu’on aime manger la mer et toutes les merveilles de ses rivages. Alors on parle volontiers (parfois fort) de mets et de vins. S’il le faut, Mélanie ne se privera pas d’arbitrer en racontant à travers son accent vénézuélien le travail de tel ou tel vigneron de La Clape ou des contreforts du Larzac.